Monday, December 19, 2011

La langue de la victoire

L’embauche intérimaire d’un entraineur unilingue Anglophone par le Canadien de Montréal a suscité une panoplie de réactions jusqu’à présent. Les acteurs les plus modérés semblent privilégier la victoire du tricolore, voyant la langue d’expression de son entraineur comme un aspect d’arrière plan, tandis que les plus radicaux se disent indignés au point d’inciter les masses au boycottage des délicieux produits Molson. Permettez-moi de vous faire part de mon point de vue qui se veut rassembleur et inclusif de tous ceux qui seront d’accord avec 101% des mots qui suivront.     

Comme l’a si bien souligné ici mon collègue aux délectables cerises, le Canadien ne se doit pas d’assumer le rôle des Berlitz et Collège Platon de ce monde. Le Canadien de Montréal et l’Office québécois de la langue française doivent demeurer deux entités distinctes. Par contre, il demeure important de souligner que de rompre avec un mandat sociolinguistique que le Canadien s’est lui-même imposé depuis plus de trente ans, ne peut se faire comme l’a fait Monsieur Gauthier, avec autant de dérision et dans l’absence quasi-totale d’explications contextuelles. Une organisation de la trempe du Canadien aurait dû démontrer  beaucoup plus de sensibilité et de compréhension en tenant compte de ce qu’elle représente pour sa majorité de partisans Francophones, toutes origines géographiques et allégeances politiques confondues : un point névralgique d’une identité en constante évolution.

Si une langue ‘ça s’apprend’, Monsieur Gauthier devra urgemment acquérir celle des communications externes et des cultures organisationnelles. C’est à lui de cerner à la perfection ce que représente l’unilinguisme de son nouvel entraineur auprès des médias et du grand public; ce faisant, il sera peut-être plus apte à atténuer la question linguistique susceptible de saboter l’entrée en scène d’un homme qui semble compétent et enthousiaste.

Si dans le contexte d’une tentative de relance de sa saison, le Canadien a choisi d’abdiquer une partie de son rôle social traditionnel, il l'a fait afin de privilégier un aspect de son histoire aussi fondamental que son importance auprès des Francophones: sa gloire. 

Comment perpétuer la tradition des Glorieux lorsque la 25ème coupe tarde à venir depuis déjà trop longtemps et semble encore loin d’être à la portée de la main? Comment peut-on justifier être le club école québécois des futurs entraineurs de premier plan de la LNH sans en récolter les fruits? Comment peut-on se permettre de ne pas se donner toutes les chances de gagner? 
  
Il est clair qu’atteindre la victoire surplombe désormais tout autre aspect comme enjeu principal chez le Canadien. La Sainte Flanelle est arrivée à un moment où elle doit se confesser; elle doit s’admettre qu’elle est faillible et qu’elle a peut-être lancé les carrières des Tremblay, Julien, Therrien, Vigneault et Carbonneau de ce monde au détriment de ses propres chances de renouer avec son vieil ami Stanley. 

Le Canadien peut demeurer un templin pour les entraineurs francophones mais l’ère du modèle Guy Boucher est arrivée: on peut être Québécois, Francophone, travailler d’arrache pied afin de se retrouver derrière un banc de la LNH, non pas à la vitesse de l’éclair, mais sans causer de tempêtes lors d’un passage nuageux prématuré à Montréal. Désormais, que ça soit en Français ou en Anglais, le mot talent devra être sur toutes les lèvres afin qu'on puisse embaucher un entraineur à plus long terme.   

Ceci dit, nous pouvons tout-de-même espérer qu’un jour, Randy Cunneyworth ou son successeur nous livrera, dans la langue de Molière, une allocution digne de Marc Denis. Pour l’instant, les joueurs du Canadien et leur nouvel entraineur devront se prouver à eux-mêmes, ainsi qu’à nous tous, qu’ils savent toujours s’exprimer éloquemment dans la langue qui se voit la plus menacée au Québec, celle de la victoire. 

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